Retour sur une victoire pour la préservation d’un espace vert : la lutte pour la Chartreuse

Retour sur une victoire pour la préservation d’un espace vert : la lutte pour la Chartreuse

Le contexte par OLT :

La lutte menée cinq ans par les habitants du quartier de la Chartreuse à Liège contre un projet immobilier du groupe Matexi s’est terminée par un succès retentissant en septembre 2022. Un des éléments qui ont pesé pour aboutir à ce succès est la création d’une Zone à Défendre (ZAD), sous la forme d’une occupation permanente du site menacé par un groupe de jeunes activistes qui ont su créer un soutien important autour de la ZAD pendant les six mois qu’a duré cette occupation.

Cette lutte des riverains renforcés par les zadistes est riche d’enseignements. Nous sommes heureux de présenter ci-dessous une première analyse détaillée de cette expérience.  Elle a été réalisée par Simon, un militant liégeois actif dans le soutien à la ZAD et à la lutte de la Chartreuse et membre actif du Parti Socialiste de Lutte (PSL). Si cette première analyse suscite des commentaires ou d’autres analyses, nous serons heureux d’en rendre compte.

Pendant plusieurs années, un collectif de riverains a lutté contre un projet immobilier pour sauvegarder un poumon vert au cœur de Liège : l’entreprise de construction Matexi avait en effet acquis auprès des autorités communales une partie du site de la Chartreuse afin d’y réaliser un projet immobilier d’ampleur qui allait redessiner toute la dynamique d’un quartier et réartificialiser cet ancien terrain militaire où la nature a repris ses droits.

Au mois de juin 2022, alors que les recours légaux contre le projet étaient épuisés, des militants ont rejoint la lutte en occupant le site, en y établissant une ZAD et en permettant le déploiement d’un nouveau rapport de force. Ceci s’est avéré payant puisqu’en septembre, l’entreprise Matexi annonçait l’abandon de tout projet sur le site de la Chartreuse.

Quelle a été la stratégie des différents acteurs qui se sont investis dans la sauvegarde de ce site ? Comment ont-ils pu faire plier Matexi ? La victoire des riverains et des militants de la ZAD est importante, inspirante, et la lutte mérite d’être racontée en détails par celles et ceux qui y ont pris part. C’est pourquoi nous sommes allés à leur rencontre.

Aux origines de la lutte pour la sauvegarde du site

L’article ci-dessous est issu d’une discussion qui a eu lieu lors du camp déter de la ZAD en août 2022 avec des militantes et militants de la ZAD, des riverains et un représentant de l’association Occupons le Terrain, un réseau de soutien aux luttes contre les projets immobiliers imposés.

La Chartreuse, ancien terrain militaire dont la ville de Liège a acquis des parcelles lorsqu’il a été vendu par l’armée en 2003 est un poumon vert bien connus des Liégeois : Cette dernière forêt urbaine à Liège est fréquentée quotidiennement par des dizaines de personnes qui n’ont pas attendus les aménagements réalisés par la Ville il y a dix ans pour en faire un lieu de détente et de promenade. Ses usages sont nombreux : c’est aussi un lieu d’expression artistique pour les graffeurs, un lieu de fête pour les free-party organisées dans l’enceinte du fort, voire un lieu d’habitat précaire pour une population de sans-abris.

Ces 35 hectares en cœur de ville sont devenus, depuis sa désaffection par l’armée en 1981, le « jardin de tout le monde » et procure un espace vert à tous les liégeois des abords qui en sont dépourvus.

En octobre 2017, des affiches jaunes apparaissent le long du site de la Chartreuse et informent les riverains du chantier à venir : la ville de Liège a cédé une parcelle du site en front de rue à la société de construction Matexi et lui a accordé un permis de bâtir pour la première phase d’un projet visant à ré-urbaniser le site sur sa moitié non considérée comme parc urbain.

Les premières heures de la mobilisation pour la sauvegarde du site

Moins d’une semaine après l’affichage de Matexi, quelques riverains font de l’agitation dans le quartier et distribuent un toutes-boites. Celui-ci appelle à une assemblée sur le site même de la Chartreuse. Cette première assemblée est une réussite puisque quelques 80 personnes y sont présentes. Forts de ce premier succès, une deuxième assemblée élabore les premières lignes d’une stratégie pour s’opposer au projet et une équipe d’une dizaine de personnes se constitue pour la concrétiser : c’est la naissance du collectif Un Air de Chartreuse (UADC).

La première action menée consiste à s’opposer au projet par des courriers envoyés dans le cadre de la procédure d’enquête publique. Or, à ce moment, un autre collectif citoyen des alentours de Liège est en train de remporter un beau succès contre un projet similaire. Il s’agit des riverains s’opposant au projet immobilier du Ry Poney, qui avaient fait parvenir 4800 courriers de protestation aux autorités communales au moment de l’enquête publique 4 mois auparavant. UADC fait donc appel à l’expérience de ce collectif pour proposer une lettre-type d’opposition à envoyer aux autorités. La mobilisation s’organise dans chaque rue du quartier : des newsletters quasi-quotidiennes mettent les riverains en contact et leur communiquent les outils leur permettant de convaincre leurs voisins de signer un courrier. La campagne d’envoi de ces courriers d’opposition est un succès puisque ce ne sont pas moins de 5100 lettres de protestation qui viennent encombrer la boite aux lettres de la majorité communale. Cela permet provisoirement de gagner la partie puisque, mis sous pression par les autorités communales qui ne souhaitent pas se mettre à dos sa population à un an des élections, Matexi décide de retirer son projet.

Structurer la lutte sur le long terme : la deuxième séquence du combat pour la Chartreuse

Si la mobilisation initiale a pu prendre par surprise promoteurs et autorités, le collectif comprend cependant qu’il faut s’attendre à une contre-attaque. Une nouvelle séquence de la lutte s’enclenche. UADC en profite pour se structurer, peaufiner sa communication et collecter un maximum d’infos sur la Chartreuse.

Dès les premiers moments de la mobilisation, la question de la valeur environnementale du site avait été discutée puisque le collectif avait constaté qu’il est répertorié comme zone de grand intérêt biologique.  D’autres aspects sont mis en avant : statut juridique (certaines phases de construction étant prévues sur des terrains dont Matexi n’est pas propriétaire à l’époque) ou statut patrimonial en raison de la présence du vieux fort militaire.

La veille du collectif n’était bien entendu pas inutile : en 2019, Matexi dépose un nouveau projet, réduit quasiment de moitié cependant, qui est approuvé par les autorités communales.

S’ouvre alors une longue séquence de recours juridiques contre le permis de bâtir. Cette bataille nécessite des moyens financiers importants et c’est encore UADC qui organise la levée de fonds qui va permettre de la financer.

Guérilla juridique ou mouvement large : les choix stratégiques de UADC

Cette troisième période de la lutte voit le collectif se replier sur les plus investis. Les aspects techniques des recours en justice, le travail pour constituer des dossiers de valorisation du site : tout cela absorbe l’énergie d’UADC dont l’existence repose sur une poignée de personnes.

L’épuisement guette le petit collectif d’autant que recours après recours, les chances de gagner s’amenuisent. En son sein, plus personne ne prend en charge de relancer la dynamique de départ reposant sur l’implication, même minime, d’un grand nombre de riverains. Il serait faux cependant de dire que l’aspect de mobilisation large est tout à fait absent de l’esprit d’UADC : promenades guidées dans la Chartreuse et petites mobilisations à l’occasion des conseils communaux se succèdent et contribuent à maintenir vivante l’idée d’une opposition au projet de construction.

Un décalage entre le collectif et le reste du quartier devient cependant visible : des tensions inhérentes au reflux de la mobilisation surviennent. On pointe le manque de transparence d’UADC ou son jusqu’au-boutisme que certains jugent stérile. A tel point que d’autres groupes de riverains font mine de contester son leadership sur la lutte. C’est alors que le couperet tombe au début de l’année 2022 : les derniers recours sont épuisés et Matexi semble avoir gagné la partie.

La ZAD comme nouvelle étape de la lutte

Alors que les choses apparaissent comme jouées et que Matexi a reçu l’autorisation de débuter les travaux, de nouveaux acteurs apparaissent dans la lutte : ce sont les zadistes. Répondant à l’appel d’UADC de faire le point sur la lutte, plusieurs personnes constatent la fin de la séquence des recours. Il reste alors une option qui est pensée, organisée et mobilisée : celle de l’occupation du site. Quelques 250 personnes aux horizons et motivations variées sont alors rassemblées, montent en une journée des barricades et installent leurs quartiers sur la parcelle où le chantier doit commencer. Le rapport de force est inversé en 24h : les travaux ne peuvent débuter, les riverains peuvent de nouveau imaginer un site préservé de l’urbanisation. Pour beaucoup cependant, l’apparition de la ZAD est vécue comme un nouveau retard dans le cadre d’un projet voué à se réaliser in fine. Après cinq ans d’opposition, peu nombreux sont ceux qui parient sur une issue positive à la lutte.

Avec l’entrée en scène des zadistes, ce n’est pas seulement le rapport de force qui change. C’est aussi la composition sociale des opposants à Matexi et avec eux, la culture de lutte.

Les zadistes sont souvent plus jeunes, moins soumis à des obligations professionnelles que les militants liés au quartier ou bien font ce choix radical de renoncer temporairement à leur travail afin de se rendre totalement disponibles pour la lutte. Bref, ils sont ou se rendent plus libres de leurs mouvements et peuvent envisager une occupation dans la durée. Le fait même qu’ils ne soient pas forcément issus du quartier est, dans une certaine mesure, un avantage : ils ne peuvent être taxés de vouloir conserver une zone verte à proximité de chez eux comme on s’assied sur un privilège.

Dès le début de l’occupation, ils communiquent en des termes très politiques : leur discours est axé sur la nécessité de préserver un espace vert urbain d’utilité publique pour tous les Liégeois.

Leur stratégie ne se limite pas à l’occupation : ils tentent de lui donner un soutien au-delà des sphères militantes radicales en organisant rapidement une première manifestation devant le conseil communal puis une deuxième avec manifestation jusqu’au site. A la suite de ces premières actions, ils organisent plusieurs activités visant à faire venir du monde sur la ZAD et à élargir encore le soutien dont elle jouit.

Pour UADC, c’est d’abord un regain d’énergie en constatant qu’ils ne sont plus seuls à se battre contre le promoteur immobilier mais aussi l’occasion de renouer avec la mobilisation large : le contact établit avec UADC en amont de la préparation de l’occupation permet au collectif d’embrayer rapidement sur l’agenda de mobilisation proposé en conférant ainsi à la ZAD la légitimité qui aurait pu lui faire défaut.

L’organisation de la ZAD

Sur les dizaines de militants et sympathisants qui ont contribué à construire la ZAD, peu nombreux sont celles et ceux qui ont fait le choix de s’y installer. Un noyau d’occupants réduit va commencer à faire vivre la ZAD, malgré les intempéries de l’été 2022 qui compliquent évidemment l’organisation de la vie sur le site.  Ils et elles s’organisent pour créer des conditions d’occupation durable : construire des infrastructures collectives mais aussi solutionner l’adduction d’eau et d’électricité jusqu’au site, ce qui en soit n’est pas une mince affaire. Des renforts occasionnels, pour quelques jours ou plus, viennent compléter les effectifs des occupants mais il est important de noter que dès le départ, une partie des militantes et militants de la ZAD, tout en n’habitant pas à temps plein sur le site, y sont venus quotidiennement afin de faire vivre l’occupation et d’assurer son soutien à l’extérieur.

Dans les premiers jours, la gestion de la vie collective sur le site a été pensée sur base d’assemblées générales quotidiennes qui vont s’espacer au fil du temps pour devenir hebdomadaires puis occasionnelles. En effet la ZAD s’organise avec un caractère ouvert, ce qui assure le renouvellement des forces militantes mais qui complique également la vie sur le site : il faut composer avec des motivations diverses et des visions différentes de ce que doit être une ZAD. Il faut arriver à construire des habitudes d’organisation avec une population changeante. Cela est d’autant plus compliqué que les militantes et militants les plus rompus aux méthodes d’organisation ne sont pas forcément les plus disponibles ni les plus présents sur le site.

L’hétérogénéité des publics qui passent sur la ZAD a représenté un défi permanent pour les zadistes. En effet, les occupants du départ sont peu à peu rejoints par des zadistes nomades, motivés davantage par la vie en communauté que par la préservation du site. Certes, ils contribuent à faire vivre la ZAD mais sont moins parfois moins attentifs aux impératifs tactiques inhérents à la lutte qui est engagée avec Matexi, ou bien en ont une autre vision. Faut-il autoriser ou non le passage des riverains sur la ZAD ? Comment équilibrer les moments festifs et l’affluence des fêtards avec le respect des riverains mais aussi de la faune environnante ? Quels sont les comportements admis sur la ZAD quand on sait que le parc de la Chartreuse est aussi le lieu d’usages tels que les trafics ? Comment prendre en compte l’ensemble des personnes présentes avec en ce compris leurs vécus et leurs failles ? Les zadistes ont forcément dû réfléchir à la façon de prendre et de faire respecter collectivement un certain nombre de décisions.

Toutes ces questions ont donc dû être discutées par des activistes décidés à faire de la ZAD, plus qu’un moyen de lutte, une expérience de vie alternative. Beaucoup liant les deux en mettant en avant la nécessité d’une organisation horizontale et démocratique pour le succès de la lutte en cours.

Des décisions ont dû être prises : par exemple la décision de limiter les nuisances sonores en circonscrivant les free party à l’intérieur du fort, de maintenir une zone de tranquillité pour les occupants permanents ou celle d’assurer le démantèlement des barricades dès après la lutte. Ceci ne s’est pas fait sans discussions, parfois vives, mais a pu être géré le plus souvent en dégageant un consensus, parfois par la politique du fait accompli, et rarement en  procédant à des votes. Si la ZAD ne s’est pas dotée d’une charte, encore moins d’un règlement d’ordre intérieur, cela ne signifie pas que des règles n’aient pas été présentes sur le site. Par exemple, un panneau installé dans l’espace central rappelait les règles de comportement à respecter sur le site.

Si les questions liées à la vie quotidienne sur la ZAD ont parfois occupé l’essentiel des discussions collectives, les militants sur et autour de la ZAD ont veillé à garder un caractère politique à l’occupation, par exemple en organisant des discussions sur l’avenir du site :  en comprendre les différents usages, y compris écologiques et de construire des revendications au-delà de la préservation du site, questionnant la politique du logement, le phénomène de spéculation immobilière en lien avec celui de l’artificialisation des terres. De ce point de vue, on peut dire que politiser les différents usagers à partir de la lutte pour la préservation de la Chartreuse a été une préoccupation des zadistes. Assemblées des usagers ou d’autres activités organisées sur le site ont ainsi contribué à renforcer la solidarité mais aussi à discuter des questions de politiques communales ou des perspectives et revendications pour un avenir désirable.

Prendre appuis sur le réseau militant

Indéniablement, le succès de la ZAD a notamment reposé sur sa capacité à s’appuyer sur les réseaux militants existants, sur la densité et la richesse du tissu associatif liégeois et à opérer des jonctions avec d’autres luttes. Des dizaines d’organisations et de lieux ont signé l’appel à soutien à l’occupation et l’ont effectivement apporté tout au long de la lutte.

Par exemple, les militants de la ZAD ont organisé un cortège pour se rendre au rassemblement du collectif « Stop Alibaba & co. » contre l’extension de l’aéroport de Bierset en périphérie liégeoise. La ZAD a reçu le soutien d’autres occupations en cours ailleurs en Europe mais elle put également bénéficier de l’apport du réseau Occupons Le Terrain (OLT). Présent déjà aux côtés de Un Air de Chartreuse, ce réseau de collectifs, constitué à partir de la lutte du Ry Poney, est resté en lien avec les zadistes et a continué à faire bénéficier les militantes et militants de son savoir-faire en matière de lutte contre les projets immobiliers imposés. L’expertise d’OLT s’est par exemple manifestée lorsqu’il s’est agi de négocier avec les autorités communales et a contribué à faire émerger la solution du « switch de terrain ».

Le compromis avec Matexi

Six mois après l’établissement de la ZAD, Matexi jette l’éponge. La société préfère accepter la proposition de la Ville d’échanger le terrain de la Chartreuse avec un autre en sa possession. En effet, contre toute attente la ZAD perdure, son soutien ne faiblit pas et Matexi comprend que des travaux sur son terrain ne peuvent s’envisager, au mieux, que dans un avenir lointain.

C’est d’abord une victoire pour celles et ceux qui souhaitaient préserver le site de la Chartreuse. Aujourd’hui, la question de la sanctuarisation de la parcelle peut de nouveau être posée puisqu’elle redevient propriété publique. De plus, les zadistes ont veillés à éviter le fait que Matexi renonce à artificialiser un terrain pour aller couler du béton ailleurs. Récemment, le collège échevinal a d’ailleurs annoncé qu’il verrait désormais d’un œil défavorable tout projet immobilier sur un terrain non-artificialisé. Si la victoire est donc indéniable pour la Chartreuse, elle constitue également une avancée pour la préservation de tous les espaces verts sur le territoire communal. Il est par contre important de noter qu’un autre projet immobilier plane aujourd’hui sur la Chartreuse puisqu’un autre promoteur immobilier vient d’acquérir une autre parcelle dans la zone de l’ancien fort. L’avenir nous dira si d’autres comités de riverains, d’autres ZAD devront voir le jour.

Que retenir de la lutte pour la Chartreuse ?

La mémoire de cette lutte victorieuse pour la sauvegarde de la Chartreuse doit être préservée tant il est vrai que dans une économie de marché, il y a souvent un promoteur en embuscade pour privatiser un espace vert au détriment de l’intérêt collectif. D’autres luttes sont à venir et il convient de tirer les leçons de chacune pour renforcer les suivantes.

En l’occurrence, les dynamiques entre collectifs de riverains, réseaux et militants de la ZAD ont plutôt bien fonctionné et ont été complémentaires. La ZAD a compris que le succès de l’occupation se jouait dans le soutien qu’elle pourrait obtenir plutôt que dans la solidité de ses barricades : En effet si l’occupation du site et sa fortification ont empêché le début du chantier, les zadistes n’auraient probablement pas pu s’opposer durablement à une éviction manu militari s’ils étaient restés isolés.  Du côté d’Un Air de Chartreuse, il y a eu cette intelligence de collaborer avec un nouvel acteur dans une stratégie nouvelle plutôt que de se complaire dans l’attentisme ou le mépris pour les nouveaux venus, attitude que l’on a pu observer dans d’autres luttes similaires. Il faut noter d’ailleurs que l’idée d’une occupation du site, si elle n’avait jamais été mise en œuvre, n’était pas absente de l’esprit des militants de UADC et qu’ils pouvaient facilement être acquis à cette stratégie.

Dans cette collaboration entre acteurs militants, le souci d’étendre la solidarité à d’autres couches et de faire connaître le combat pour la préservation de la Chartreuse est redevenu l’axe stratégique principal. En témoignent les nombreux événements organisés sur le site, activités de tous ordres qui ont fonctionné comme autant de points d’entrée pour impliquer de nouvelles personnes dans la lutte mais aussi les mobilisations, manifestations et rassemblements devant le conseil communal qui ont contribué à maintenir la lutte vivante à une échelle plus large.

La thématique des oiseaux choisie par les zadistes a permis de développer un imaginaire qui a nourri la lutte et a permis de l’élargir bien au-delà des cercles militants habituels. Ainsi la « parade des oiseaux », cortège partant de l’hôtel de ville pour rejoindre le site de la Chartreuse, a été un aussi été un moment festif, intégrant un public familial notamment au moyens d’ateliers qui ont fait appel au savoir-faire de chacun.

Un journal de l’occupation ( le « tchip-tchip »), une page Facebook ainsi que des groupes de messageries ont permis de garder ce lien avec ces couches larges en donnant des nouvelles de l’occupation et des activités qui y étaient programmées mais aussi d’organiser le soutien matériel.

On peut penser que ce soutien large a été déterminant dans la décision des autorités communales de ne pas faire intervenir la police. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la communication de la ville au sujet de la ZAD a été en permanence de la décrire comme un lieu de radicalisme violent afin de la décrédibiliser aux yeux de la population liégeoises : si la ZAD n’avait pas réussi à imposer une autre image d’elle-même, il y a fort à parier qu’elle serait devenue isolée et donc facilement expulsable. Cette volonté d’abîmer l’image de la ZAD a perduré après la victoire puisque l’on a vu des conseillers communaux de la majorité et des medias aux ordres accuser les zadistes de laisser un dépotoir derrière eux alors même que s’organisait le démantèlement du campement et le nettoyage du site par des dizaines de volontaires.

En définitive, cette guerre de communication s’est avérée tourner en faveur de l’occupation : La popularité croissante de la ZAD étant inversement proportionnelle à celle de Matexi, il n’est pas interdit de penser que la société immobilière a finalement renoncé à toute prétention sur le site pour restaurer en partie son image de marque.

Le lien entretenu avec les autres luttes semblables dans la région par l’intermédiaire notamment de OLT mais aussi des discussions organisées sur la ZAD ont précisément permis de construire un contre-discours face à celui de Matexi et des autorités communales. Cela a par exemple été la garantie de ne pas se faire taxer de NIMBY (Not In My Back Yard – pas près de chez moi, désignant l’attitude qui consiste à approuver un projet pourvu qu’il se fasse ailleurs). En ce sens, aborder des questions comme celles des politiques du logement ou de l’utilité des espaces verts pour la résilience des villes ont permis de politiser la lutte et d’opposer un récit alternatif au discours dominant et simpliste de « il faut bien loger les gens ».

Mais après tout, la leçon essentielle de cette séquence, comme celle de toute mobilisation victorieuse, est qu’il n’y a pas de fatalité et que l’intelligence collective de quelques personnes décidées peuvent triompher d’un projet immobilier imposé ou, comme on le dit depuis bientôt 50 ans : « oser lutter, oser vaincre ».

Cette analyse est parue initialement le 26 février 2023 sur  le site du PSL