#Investigation : deux ans après les inondations dans le bassin de la Vesdre, haro sur le béton !

#Investigation : deux ans après les inondations dans le bassin de la Vesdre, haro sur le béton !

Présentation OLT :

Mercredi 17 mai, dans le cadre de son magazine « Investigation »,  la Une (RTBF) a diffusé une enquête consacrée à la situation dans le bassin de la Vesdre deux ans après les inondations. L’occasion de passer en revue les analyses réalisées depuis lors et de s’interroger sur le perspective du Stop Béton telle qu’elle est imaginée par la Région wallonne à l’horizon 2050. Et de constater à quel point cette balise de 2050 est lointaine et insuffisante.

Les inondations ont pris 39 vies il y a près de deux ans. La Wallonie ne pouvait pas rester les bras croisés. Plusieurs plans ont vu le jour. Il fallait aménager la rivière mais aussi rendre le bâti plus résilient car, immanquablement, elle sortira encore de son lit. Un autre plan, le Schéma Vesdre, va s’attaquer de façon ambitieuse à l’une des causes de ces inondations : la politique d’aménagement du territoire n’a fait qu’augmenter le ruissellement.

Une vision globale. Pas de particularisme, d’égoïsme ou de « on a toujours fait comme ça » : la Wallonie a commandé une étude démarrée en février 2022, le Schéma Vesdre. La Cabinet d’architectes « Studio Paola Viganò », a créé une vision en s’associant à l’université de Liège pour la confronter aux données scientifiques du territoire. Une vraie approche intégrée : « Un bassin-versant comme la Vesdre ce n’est pas juste des cartes, une rivière et de la topographie, explique Sébastien Schillers du studio « Paola Viganò ». Tout est connecté et on ne peut pas séparer l’aménagement du territoire, de l’agriculture, du tourisme, des gens qui y vivent avec des personnes plus aisées sur les plateaux et plus paupérisées dans la vallée. »

Joël Privot, ULiège, (à droite) et Etienne Schillers, architecte au studio Paola Vigano ont confronté visions projetées et données scientifiques pour proposer un schéma transversal pour la Vesdre. © Tous droits réservés.

Une vision presque utopique (« Ça ne l’est que si on ne se donne pas les moyens de le faire« , précise l’architecte) pour changer le destin des 25 communes concernées avec un objectif principal : protéger celles de fond de vallée. Un laboratoire pour le reste de la Wallonie car « c’est ici que le risque d’un retour d’un tel événement catastrophique est le plus élevé, détaille Xavier Fettweis, climatologue à l’Uliège, mais des inondations équivalentes ou pires d’ici 2035 suivies de sécheresses à partir de 2050 concernent toute la Wallonie« .

Le plan de bataille est transversal. Les Hautes Fagnes, dont les tourbières ont été soigneusement asséchées depuis le 19e siècle pour y cultiver des épicéas, étaient le château d’eau wallon. Mais elles ont perdu leur capacité à stocker l’eau et le Schéma Vesdre veut changer la donne. La Wallonie va boucher les drains (ou ne pas les déboucher), supprimer les sapins et redynamiser les tourbières. Bien… mais cela va prendre des dizaines d’années car la sphaigne, l’élément végétal constitutif de la tourbière pousse de 1 à 2 millimètres par an.

La sphaigne est le végétal constituant la base des tourbières dans les Hautes fagnes. Mais elle pousse très lentement. © rtbf

Sol « agricool »

Mais il faut aussi s’attaquer à la façon dont l’homme construit. Depuis les années 1960, les hauteurs, et le plateau de Herve singulièrement, ont vu les maisons, quatre façades préférentiellement, s’étaler en chapelet depuis les sorties de l’autoroute E42. Un vrai « way of life » wallon. Le « tout à la voiture » permettant en quelques minutes de prendre une bretelle pour se rendre dans un zoning voisin (plusieurs centaines d’hectares) ou à Liège voire en Allemagne… Idéal ! Pas une situation unique à la région de la Vesdre car cette urbanisation galopante fait perdre chaque année 11 km² de terres agricoles au profit de surfaces artificialisées.

Mais au-delà de la perte de zones importantes pour la production de nourriture, l’augmentation du ruissellement, son corollaire, a mis en exergue un autre danger, l’aggravation des inondations dans la vallée de la Vesdre en juillet 2021. Un hectare imperméabilisé envoie deux fois plus d’eau vers la vallée qu’un champ, une praire ou une forêt. Un élément dont l’aménagement du territoire wallon ne tient pas compte à ce stade.

Aurore Degré, spécialiste des sols d’Agro-biotech Gembloux suggère d’ailleurs de sanctuariser certaines de ces surfaces agricoles : « Dans le bassin-versant de la Vesdre, les prairies représentent près de 45% de la surface. Avec les haies qui les entourent, elles forment le bocage qui joue un rôle essentiel contre le ruissellement sur les terrains en pente. Et parmi ces prairies, certaines sont capables d’absorber énormément d’eau ! Pendant les pluies de juillet 2021, certaines ont permis de faire pénétrer 100% de l’eau qui tombait mais en plus, une partie de l’eau venant de plus haut sur les côtés de la vallée. Ces sols-là, cela devrait être interdit de construire un lotissement dessus !« .

Stop Béton 2050

Mais ce n’est pas le cas. Car en Wallonie, ce qui pilote le développement urbanistique, c’est le plan de secteur réalisé dans les années 1970. Selon ce plan, 50.000 hectares, aujourd’hui cultivés ou boisés, peuvent encore être construits. Et parmi eux, des terres d’excellentes qualités.

Alors que faire ? Tout figer ? Changer le plan de secteur ? « C’est impayable, explique Joël Privot, urbaniste à l’université de Liège et partie prenante dans le Schéma Vesdre. Comment peut-on imaginer que des « terrains à bâtir », qui valent entre 30 et 150 euros le mètre carré, puissent passer en zones agricoles sur le plan de secteur et ne plus valoir qu’entre 3 et 5 euros par mètre carré ? Il y a un manque à gagner énorme. Il faudrait indemniser tout le monde. C’est un véritable tabou même si un jour, dans quelques années ou quelques dizaines d’années, il faudra bien se pencher dessus. Mais pour contourner le problème, la Wallonie met des outils en place pour stopper cette artificialisation des sols« .

L’avant-projet du CoDT a été adopté en seconde lecture par le gouvernement wallon fin mars 2023. Tout comme le Schéma de développement territorial (SDT), document d’orientation qui détermine la stratégie territoriale pour la Wallonie. L’un des axes développé concerne des mesures pour lutter contre les inondations et intégrer les recommandations de la commission d’enquête parlementaire chargée d’en examiner le déroulement et les causes. Ils devraient donner plus de pouvoir à l’administration wallonne.

La Wallonie va demander à toutes les communes d’avoir un schéma de développement communal (SDC), optionnel pour le moment, dans les 5 ans. Seules 7 communes sur les 25 du bassin de la Vesdre en possèdent un pour le moment. Ils permettent à une commune de définir à l’avance la politique de développement territorial : « Nous leur donnons 5 années pour avoir leur schéma, ils vont définir eux-mêmes leurs centralités, c’est-à-dire les nœuds urbanistiques qu’ils comptent encore développer à l’avenir, explique Willy Borsus, ministre MR de l’Aménagement du territoire. Dans ces centralités, la densification de l’habitat sera encouragée, en dehors, ce sera l’inverse. Le but c’est de parvenir progressivement à la fin totale de l’artificialisation des sols, le « STOP-béton » d’ici 2050« . Si les communes ne réalisent pas leur SDC dans le temps imparti, ce sont les centralités définies au niveau de la Région wallonne qui primeront.

La Wallonie va également s’équiper d’une autre arme pour garantir l’intégration des risques de catastrophes naturelles dans le développement de projets immobiliers : « Quand ces éléments ne seront pas assez pris en compte dans l’octroi du permis, la Région va pouvoir intervenir. Ça veut dire que les communes qui continuent à construire n’importe où et n’importe comment, la Wallonie va s’équiper juridiquement pour les en empêcher, précise Joël Privot. C’est une révolution copernicienne… qui va faire grincer des dents« .

L’ancien site de « La Sapinière » pile à la frontière entre Verviers et Pepinster, cristallise les différences d’approches entre les communes. © Tous droits réservés

Pas assez rapide ?

2050. La date butoir est donnée. C’est l’Union européenne qui impose cette directive que les pays et régions doivent appliquer. Mais dans la vallée de la Vesdre, cette échéance sonne creux pour certains quand on sait que les inondations risquent de revenir bien avant. Et puis surtout, d’ici là, la trajectoire proposée par la Région wallonne risque d’éveiller un sentiment d’urgence chez les promoteurs immobiliers.

Sur les hauteurs de Pepinster et de Verviers, pile à la frontière communale, des dissensions sont nées voici quelques mois entre les deux municipalités. Un projet d’appartements, 27 au total, existe sur les hauteurs. Le terrain est côté pépin, et les impôts sur les personnes physiques générés aussi. La construction des routes d’accès à cette parcelle, située en zone agricole, incombera à la commune de Verviers qui a remis un avis négatif à trois reprises. Un projet qui n’est plus dans l’air du temps pour l’Echevin de l’urbanisme MR Maxime Degey : « Difficile à justifier. Comment puis-je aller expliquer aux habitants de la commune ? On dit à ceux qui ont été inondés en 2021 qu’ils doivent partir de leur habitation dans le centre de Verviers parce que les risques d’inondations sont trop grands et qu’on va détruire leurs maisons. Et en parallèle, certains veulent autoriser des projets en pleine nature comme celui-ci, qui imperméabilisent les hauteurs et qui envoient justement l’eau vers la vallée…. ».

Pourtant, la Wallonie a validé le projet qui ne contrevient à aucune prescription urbanistique. Même en zone agricole, une exception peut être accordée car le bâtiment, pourtant plus grand, sera installé sur la ruine d’un ancien centre de vacances scolaires : « Avec le « stop béton » qui arrive, cela crée un appel d’air auprès des promoteurs. Nous avons tout le temps des demandes de renseignement. Et je comprends, il faut qu’ils puissent développer des projets. Mais ici… pour moi ce n’est pas justifié. C’est compliqué, c’est financier, c’est politique et moi, en tant qu’Echevin de l’Urbanisme je n’ai pas honte de dire que je me sens un peu démuni. Ça n’a plus de sens d’avoir ce rôle à l’échelle d’une commune. ».

Les achats de bâtiments ou de terrains dans les zones sinistrées pour aménager les berges vont continuer. La Wallonie a aussi annoncé un nouveau budget de 120 millions d’euros. 453 autres millions vont permettre d’aménager les cours d’eau dans les prochaines années. Mais il reste de nombreuses questions pour le schéma Vesdre et son ambition de donner des lignes directrices à l’ensemble du bassin-versant : quand et comment cette vision va-t-elle aboutir ? Qui va tenter d’entraîner toutes les communes, les rouages indispensables de ce projet, et de piloter cet immense bateau ? Pour les bourgmestres, consultés depuis des mois, et les responsables du schéma, la crainte principale demeure que tout leur travail ne devienne qu’« un grand rapport de 1000 pages abandonné sur une armoire« , explique Joël Privot. Tous espèrent qu’il y aura bientôt du concret… avant les prochaines inondations.

Article paru initialement sur le site de la RTBF-Liège et lien vers l’émission :
https://www.rtbf.be/article/investigation-deux-ans-apres-les-inondations-dans-le-bassin-de-la-vesdre-haro-sur-le-beton-11195280