Quand et où s’arrêtera l’urbanisation de Malonne?

Quand et où s’arrêtera l’urbanisation de Malonne?

L’article qui suit a été rédigé par un habitant de Malonne, petit village anciennement rural qui a été intégré à la commune de Namur il y a près de 50 ans. L’auteur y décrit l’évolution de ce village confronté à un processus d’urbanisation et d’étalement urbain massif et y développe une réflexion tout à fait intéressante sur la nécessité de stopper ce processus et d’aboutir rapidement à un véritable Stop Béton.

Même si vous n’êtes pas Malonnais, la lecture de cet article est vraiment intéressante et instructive. Avec un petit ajout « made in OLT » : des habitants conscients des enjeux et bien organisés peuvent faire beaucoup plus que « bien voter » et tenter de peser sur les orientations d’un Schéma de Développement communal, comme le montrent les nombreuses victoires concrètes remportées par des collectifs et chroniquées sur ce site.

Tout qui arpente Malonne l’aura constaté : les nouvelles maisons poussent comme des champignons. La carte ci-contre le confirme : y figurent en rouge les bâtiments construits après le 1er janvier 2020, ceux en cours de construction et ceux ayant obtenu un permis de bâtir. Si vous les comptez, vous en dénombrerez 136.

Beaucoup d’entre eux se situent dans ce qu’on appelle les dents creuses, ces espaces libres entre deux constructions. D’autres ont été érigés sur des terrains déjà bâtis que les propriétaires ont subdivisés. Mais beaucoup l’ont été sur des terres agricoles par des promoteurs immobiliers, notamment au Petit-Babin, où Thomas & Piron a construit 24 maisons. Deux autres opérations, de moindre envergure, se situent aux Basses Calenges (où l’entreprise Baijot construit actuellement cinq maisons) et le long des rues de la Dierlaire et du Pays de Liège (où des descendants d’agriculteurs ont valorisé leurs terrains en autopromotion).

Fièvre immobilière

En cinq ans, on aura donc construit presque autant de bâtiments que pendant la décennie précédente. Le graphique ci-contre montre aussi que 1960 marque un tournant. À cette date, on comptait 1 037 parcelles bâties. Depuis lors, 1 202 nouveaux bâtiments ont été construits, avec un pic dans les années 1960 et 1970.

La fièvre immobilière des cinq dernières années va-t-elle se poursuivre ? Seule en décidera l’invisible main du marché. Car c’est bien le jeu de l’offre et de la demande qui dicte le tempo de l’urbanisation. Pour l’heure, la Ville de Namur ne dispose guère de levier pour refuser une demande de permis de lotir si celle-ci est inscrite en zone à bâtir dans le plan de secteur. En dehors de rares cas où le terrain est en zone inondable, refuser un permis expose à un recours presque toujours gagnant du candidat bâtisseur.

Déraisonnable étalement

Il apparaît cependant peu raisonnable de poursuivre l’urbanisation au gré des rencontres entre offres et demandes, parce que les endroits choisis pour ériger les nouvelles constructions ne correspondent pas d’office à l’intérêt commun. Aujourd’hui, on bâtit là où le propriétaire a intérêt à vendre et où cette offre rencontre l’intérêt d’un acheteur. Si l’on avait pris en compte le bien commun, rien n’indique qu’on aurait bâti au Petit-Babin, aux Basses Calenges ou au Pays de Liège. Car le principe de bien commun invite à ne pas empiéter sur des terres agricoles, pour ne pas compromettre la survie de certaines exploitations et notre autonomie alimentaire. Il incite également à contenir l’étalement urbain qui fragmente les espaces ouverts et détériore la biodiversité et le patrimoine naturel, tout comme la qualité des paysages.

De manière plus générale, il faut s’interroger sur la multiplication des logements en dehors des zones urbaines car la dissémination de l’habitat contribue au réchauffement climatique : elle renforce la dépendance à l’automobile mais aussi l’imperméabilisation, et avec elle le risque d’inondations. Elle induit aussi d’importants coûts collectifs en étendant les réseaux de voirie, de collecte d’immondices, d’éclairage public, d’égouttage ou de transports en commun. Mais Namur attire, et Malonne aussi, tandis que la diminution de la taille des ménages dope la multiplication des logements. La demande est donc forte et la consommation d’espace difficile à contenir.

Lente prise de conscience et difficile passage à l’acte

Il y a cependant une lente prise de conscience des effets délétères des politiques expansionnistes menées depuis la Seconde guerre mondiale. Dans ce processus, 2011 est une date clé : la Commission européenne déclare alors que les sols sont une ressource à protéger et propose de réduire le rythme d’artificialisation des sols, puis de stopper toute nouvelle artificialisation nette de terres au-delà de 2050.

Mais il y a loin de la prise de conscience au passage à l’acte. En 2021, le Parlement européen constate que les États sont loin de progresser vers cet objectif et demande un cadre législatif plus contraignant. Deux ans plus tard, la Commission propose une directive … qui n’est cependant pas encore adoptée et ne prévoit pas d’objectif contraignant en la matière, se limitant à renforcer la surveillance du rythme d’artificialisation.

La Wallonie tarde aussi à concrétiser ses intentions. Elle a certes adopté l’objectif de zéro artificialisation à l’horizon 2050 et s’est fixé comme objectif intermédiaire de réduire la consommation des terres non artificialisées à 6 km2/an en 2030. Mais concilier cet objectif avec les plans de secteur s’avère compliqué.

Ceux-ci ont été préparés au cours des années 1960 et 1970, quand l’opposition à l’étalement urbain était balbutiante. Si bien que les 23 plans de secteur wallons (dont celui de Namur, datant de 1985), ont placé en zone résidentielle beaucoup de terrains jusqu’alors non bâtis. Au point que la superficie encore constructible en Wallonie est de loin supérieure à ce qu’il serait possible de lotir d’ici 2050, date d’entrée en vigueur de la norme « zéro artificialisation nette » fixée par la Région. Au 1er janvier 2020, il restait en effet en Wallonie encore 550 km2 constructibles (dans des zones essentiellement agricoles). Or, même en consommant 6 km2 chaque année pendant 30 ans, 370 km2 resteraient encore disponibles à l’échéance 2050.

Faibles lignes de défense du bien commun

Il serait donc logique de revoir dès à présent les plans de secteurs pour faire passer en zone non constructible une part des zones qui le sont actuellement. C’est légalement possible mais budgétairement impraticable, car le Code du développement territorial privilégie la protection des propriétaires en prévoyant d’indemniser, dans certaines conditions, ceux qui verraient la valeur de leurs terrains diminuer du fait du change- ment d’affectation.

La Wallonie esquisse donc une seconde stratégie pour éviter l’utilisation anarchique de l’énorme réserve créée par les plans de secteur. Le Gouvernement wallon a adopté en mai 2024 le Schéma de développement territorial (SDT) qui délimite des zones de centralité urbaine et de centralité villageoise. L’objectif est d’y concentrer davantage de logements (30 à l’hectare dans les premières et 20 dans les secondes). Ailleurs, un maximum de 10 logements à l’hectare serait toléré (sauf exceptions). Presque tous les quartiers de Malonne sont classés dans ce troisième type de zone. Seuls le bas de la rue du Fond et les quartiers avoisinants sont classés parmi les zones de centralité villageoise et pourraient dès lors être densifiés.

Ce schéma n’a cependant qu’une valeur indicative, contrairement au plan de secteur, qui a une valeur réglementaire. Il sera cependant obligatoirement complété dans chaque commune par un Schéma de développement communal (SDC) qui définira de manière plus précise les périmètres des centralités et pourra fixer des normes de densité de logements par quartier. C’était déjà l’esprit du Schéma de structure que la Ville de Namur, pionnière en la matière, avait défini en 2012. Dans les zones rurales, ce schéma fixait d’ailleurs une norme de 7 logements à l’hectare, inférieure à celle de la Région. Il y interdisait aussi toute nouvelle voirie, ce qui avait permis de refuser au Petit Babin une demande pré- voyant l’ajout de voiries pour densifier l’habitat.

Plus de 200 emplacements encore disponibles

Mais il reste encore d’importantes disponibilités à Malonne. Le plan de secteur y a en effet été généreux en zones résidentielles. La raison ? À l’époque, Malonne se distinguait d’autres localités par son absence de centralité et par la dissémination de ses quartiers. Si bien que les planificateurs ont trouvé légitime de relier ces quartiers par des zones à bâtir, libérant la dynamique d’urbanisation. Celle-ci n’a pourtant pas suffi à épuiser le stock de zones constructibles. À l’heure actuelle, sans tenir compte d’éventuelles subdivisions de parcelles déjà bâties, il est encore possible de construire 200 à 220 bâtiments résidentiels, identifiés par des rectangles bleus dans la carte ci-contre.

Ce que vont devenir ces espaces dépend d’abord des propriétaires des terrains à bâtir et de leurs acheteurs potentiels ; en second, des décideurs politiques européens, régionaux et communaux ; en troisième lieu, de vous et moi. D’abord parce qu’en cette année électorale, nous avons choisi en juin et choisirons en octobre qui composera les assemblées de ces divers niveaux de pouvoir, arbitrant ainsi entre des partis qui ne défendent pas les mêmes politiques. Ensuite parce qu’au niveau communal, nous pouvons collectivement peser sur le Schéma de développement communal, à finaliser dans les prochaines années.

Peser sur l’avenir

La meilleure façon de peser ? Faire émerger à Malonne un débat sur des enjeux concrets. En voici quelques-uns. Faut-il à Malonne une zone de centralité villageoise, ce qui suppose un minimum de 20 logements à l’hectare et la construction de petits immeubles à appartements ? Si oui, faut-il modifier les étranges limites définies dans le Schéma de développement territorial (1 sur la carte) ? L’éventuel déménagement de la section pédagogique d’HENaLLux à Bomel est-elle une occasion à saisir pour densifier le logement à cet endroit (2 sur la carte) ? Trouvons-nous légitime d’encore bâtir dans les dents creuses lorsqu’elles sont éloignées des transports en commun ou dépourvues de réseaux d’égouttage ? Trouvons-nous judicieux d’empiéter encore sur les terres agricoles ou forestières au Gros Buisson (3), aux Basses Calenges face aux maisons Baijot (4), à Haute Fontaine (5) ou au chemin des Trois Fortins (6), où un terrain d’1ha11a est actuellement en vente pour 650.000 € ? Face à la Ferme Blanche, serait-ce ou non une bonne idée de lotir les 3 ha de pâture gagnés par le bois (7) si la chaussée est transformée en un boulevard urbain arboré, moins rapide et plus sécurisant pour les cyclistes et piétons, ou faut-il au contraire éviter une urbanisation linéaire ?

Article publié dans le magazine mensuel « Malonne première », diffusé dans toutes les boîtes aux lettres du village.
Texte, graphique et carte : Bernard Delvaux
Fond de carte : OpenStreetMap