Beauvechain – Nous ne « Boiron » pas tout et n’importe quoi!

Beauvechain – Nous ne « Boiron » pas tout et n’importe quoi!

Cinq ans de combat. Sur le ring, deux adversaires face à face: un grand et un petit. Le grand, c’est un laboratoire pharmaceutique français ayant une belle carrière internationale et de nombreux appuis. Le (très) petit, c’est un collectif d’habitants d’un petit village rural dont le seul avantage est de pouvoir s’appuyer sur un large soutien dans la population locale. Au milieu, un arbitre dont le cœur (si c’est bien de cela dont il s’agit…) penche ouvertement pour le « grand ». Tous les pronostics annonçaient une victoire sans combat du grand. Et tous les pronostics seront déjoués!

Car, pendant cinq ans, avec un acharnement impressionnant, le collectif « Beauvechain zone villageoise » va s’employer à informer, à mobiliser, à tout faire pour se faire entendre et pour briser le mur du silence autour d’un projet d’activité industrielle que le labo veut établir dans le village alors qu’il n’y a pas sa place. Résultat de ce combat de cinq ans: une victoire du collectif par abandon du labo pharmaceutique, sans gloire et en rase campagne (c’est le mot!).

C’est ce long combat et cette belle victoire qui sont racontés dans cet article.

Un projet industriel sur une zone de forte biodiversité

On peut supposer que le projet a mis un certain temps à mûrir en interne mais c’est en septembre 2019 que l’affaire arrive au grand jour. La filiale belge du laboratoire Boiron, le fleuron français de l’homéopathie, établie à Evere en région bruxelloise, souhaite déménager son siège et s’installer dans un village de Wallonie.

Crédit : collectif « Beauvechain Zone Villageoise »

Le village choisi, c’est Beauvechain, dans le Brabant wallon. Boiron a acquis une parcelle à l’entrée du village. Aux bureaux accueillant près de 90 employés s’ajouteraient « des locaux préparatoires » accolés à une pharmacie et un dépôt de stockage. L’affaire semble bien engagée puisque la bourgmestre Carole Ghiot (MR) et sa majorité communale sont favorables au projet.

Mais, comme souvent, il y a un facteur auquel nul n’a pensé en haut lieu : les habitants. Or, très vite, l’opposition à ce projet de Boiron se développe. Il n’y a pas grand monde pour croire la firme quand elle dit que les « locaux préparatoires » ne serviraient qu’à concevoir des « préparations magistrales figurant sur les ordonnances des médecins, essentiellement des traitements homéopathiques ». L’avis général est que ces locaux traiteront des demandes qui arriveront de toute la Belgique et qu’ils ont leur place dans un zoning industriel et pas dans un village. Au vu de l’affluence attendue, les riverains craignent pour la mobilité et le calme du village. Et ils clament leur attachement à la friche qui s’est développée depuis des dizaines d’années sur la parcelle visée par Boiron et dans laquelle s’est développée une grande biodiversité.

Une grande claque, portée par une main à 1200 doigts

La première enquête publique a lieu en septembre 2019. Une forte opposition se manifeste dans la population. Un collectif « Beauvechain zone villageoise » se crée. Boiron revoit une première fois son projet. L’année suivante, la deuxième enquête publique confirme et amplifie la tendance: 1200 réponses négatives sur 5000 personnes en âge de voter dans la commune!

Vu l’ampleur de l’opposition, le patron de Boiron décide en septembre 2020 de geler le projet. « Nous souhaitons prendre le temps d’analyser les remarques formulées. C’est pour cette raison que nous avons retiré notre demande de permis d’urbanisme. Mais nous restons convaincus que ce projet serait une plus-value pour la commune et ses habitants. Nous pourrions donc revoir notre copie et introduire une nouvelle demande de permis » déclare-t-il. La pause est bienvenue mais la menace reste donc entière.

Chez la bourgmestre, c’est aussi la soupe à la grimace (même si le retrait du projet par le promoteur permet au Collège communal de ne pas devoir prendre position!): « N’importe quelle commune serait heureuse d’accueillir une firme comme celle-là », affirme Carole Ghiot. « Ce serait intéressant, pas seulement pour les recettes fiscales que cela suppose. Mais aussi pour offrir à la commune une vision d’avenir différente, évolutive. Nous attendrons donc pour voir si le groupe présente une nouvelle demande de permis ».

Et elle a bien sûr une explication imparable de l’échec retentissant de l’opération séduction de Boiron: « Cela dit, je ne suis pas surprise du vent d’opposition que le projet génère chez certains citoyens. Quelques personnes ont donné une vision tronquée ou incomplète du projet ». Ah! la bonne vieille explication policière de l’Histoire: quelques agitateurs professionnels et hop, 1200 personnes s’opposent! Comme la vie est simple quand on a les bonnes clés pour la comprendre!

Projet revu, opposition maintenue

Le répit est effectivement de courte durée. En février 2021, Boiron lance sa troisième tentative, en réduisant de deux tiers la surface de construction au sol des bâtiments. Le collectif maintient son opposition: « Boiron signifie plus de voitures, de nombreux camions, un risque de pollution, la perte d’un espace vert et humide, ainsi que le risque d’un développement ultérieur du site au-delà des intentions actuelles« .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédit : Boiron

L’enquête publique (la 3ème déjà!) à peine clôturée, le collectif marque un point important: avec l’aide de Natagora, il réussit à faire classer le site comme « Site de grand intérêt biologique ». Ce qui veut dire que le Service Public de Wallonie reconnaît que la zone naturelle abrite des espèces rares ou menacées, notamment des oiseaux et des papillons. Il est clair que si on construit sur ce terrain, ces espèces vont disparaître. Cette reconnaissance comme SGIB est donc un argument important pour refuser le projet de Boiron.

C’est bien ce qui semble s’enclencher. La fonctionnaire déléguée de la Région wallonne, consultée dans le cadre de la procédure, remet un avis négatif à cause du nouveau SGIB. Mais, légalement, cet avis n’est que consultatif. Or, il ne plait pas au Collège communal qui explique sans aucune gêne dans un toutes boîtes informatif distribué aux riverains: « En l’espèce, le collège communal ne saurait rejoindre l’appréciation de la Fonctionnaire déléguée dès lors que celle-ci revient à interdire définitivement toute urbanisation dans le périmètre d’un SGIB ; ce qui est contraire au Code du développement territorial et hautement préjudiciable pour les citoyens propriétaires de parcelles au sein de ces zones« .

Permis refusé… puis accordé

La Commune décide de demander en urgence l’avis du Département Nature et Forêts (DNF) de la Région wallonne. Mais cet avis n’arrive pas dans le délai dont disposait le Collège pour statuer sur la demande de permis. Résultat: permis refusé par la commune le 25 juin 2021, en application du principe de précaution, « afin d’éviter tout risque d’atteinte à la biodiversité« .

Dans la mesure où l’initiative de faire classer le site menacé en SGIB a permis de bloquer le permis, on pourrait imaginer que les riverains opposés au projet sont heureux. C e n’est pas le cas, et à raison, comme la suite le montrera. « Le Collège utilise la SGIB, tout en disant que ça ne justifie pas un refus. En gros, ils disent au Ministre qu’il va pouvoir octroyer le permis à Boiron. » explique le collectif.

C’est en effet la carte dont dispose à présent Boiron: introduire un recours devant le Ministre compétent. C’est bien ce que fait la firme: elle introduit un recours. Et, le 25 octobre 2021, coup de théâtre, la Région accorde le permis que la commune avait refusé!

Cap sur le Conseil d’Etat

C’est un coup dur pour le collectif mais celui-ci ne se laisse pas abattre. Il décide d’aller lui aussi en recours, cette fois à l’échelon supérieur, à savoir le Conseil d’Etat. Avec un argument central: l’activité envisagée par Boiron sur le site est de type industriel alors que la firme n’a demandé qu’un simple permis de bâtir pour une habitation.

Crédit : collectif « Beauvechain Zone Villageoise »

Le collectif en profite pour dénoncer le silence qui est opposé à son argumentation, de la part de Boiron-Belgique évidemment mais aussi de la part de la maison-mère en France, qui ne répond à aucun courrier, et de la part des autorités locales qui continuent à soutenir et pousser le dossier (plus ou moins ouvertement ou discrètement selon les circonstances).

Un recours au Conseil d’Etat est une procédure longue (et même de plus en longue au vu de l’augmentation du nombre de recours et du manque de personnel judiciaire). Le dossier semble engourdi et le premier coup de pelleteuse n’est toujours pas donné.

Victoire par abandon silencieux

Il faut donc attendre deux ans et demi pour que du neuf sorte enfin… mais l’attente en valait la peine. A la mi-mai 2024, la Commune annonce que Boiron abandonne définitivement son projet, sans attendre l’arrêt du Conseil d’État.

Une magnifique victoire donc, qui démontre une nouvelle fois qu’un collectif qui sait forger une argumentation solide, mobiliser la population, construire une pression sur les autorités publiques et tenir le coup à travers des situations parfois fort changeantes peut remporter des victoires auxquelles personne ne s’attendait. Car, dans le domaine pharmaceutique comme dans tous les autres, un pot de terre peut être beaucoup plus résistant et efficace qu’un pot de fer!

Page Facebook du collectif: https://www.facebook.com/profile.php?id=100064377771371&locale=fr_FR