Loi européenne sur la restauration de la nature : « Un sauvetage, plutôt qu’une victoire »

Loi européenne sur la restauration de la nature : « Un sauvetage, plutôt qu’une victoire »

Le Parlement européen a sauvé le 12 juillet la loi sur la restauration de la nature, en amoindrissant son ambition environnementale.

 

Fumée verte au Parlement européen. Mercredi 12 juillet, les eurodéputés ont adopté, par 336 voix contre 300, la loi de restauration de la nature. Beaucoup ont salué une victoire pour le vivant. Mais à quel prix ? Car le texte, pour être adopté, a été vidé d’une grande part de son ambition environnementale. « C’est un sauvetage in extremis plutôt qu’un succès », estime ainsi Claire Nouvian, de l’ONG Bloom.

Un projet de départ ambitieux

Rembobinons. Il y a un an, la Commission européenne présentait « le texte le plus ambitieux pour la biodiversité depuis trente ans » selon Chloé Godefroy, qui suit le dossier à France Nature Environnement. Car la nature européenne va mal : déclin des oiseaux, des insectes et des poissons, espaces naturels bétonnés, forêts et champs en monoculture… 80 % des écosystèmes du vieux continent sont considérés en mauvais état de conservation. Pour y remédier, Bruxelles avait — une fois n’est pas coutume — sorti les gros moyens.

« Pour la première fois, le texte de la Commission fixait des objectifs juridiquement contraignants, avec une cible globale — restaurer 20 % des écosystèmes dégradés d’ici à 2030 et 100 % en 2050, dit Chloé Godefroy. Il donnait aussi des déclinaisons précises par milieu. » Augmenter des espaces verts en ville, replanter des haies, remettre en eau des tourbières, supprimer certains barrages sur les rivières, créer des aires marines protégées. « On est au bord du gouffre, rétablir le vivant est une priorité absolue, et cette loi européenne est une occasion unique », insiste Swann Bommier, de l’ONG Bloom.

La droite et l’extrême-droite contre le projet

Mais certains à Bruxelles n’ont pas voulu saisir cette « opportunité ». Depuis plus de six mois, les élus du Parti populaire européen (PPE) — droite conservatrice, dont sont membres en Belgique le CD&V et Les Engagés  — et ceux du groupe d’extrême droite Identité et Démocratie ont mené des attaques tous azimuts afin de liquider le texte de la Commission. Motif ? Celui-ci mettrait en danger l’agriculture européenne. Un argument largement démenti, en particulier par plus de 6 000 scientifiques dans une lettre ouverte publiée en mai dernier . Outre un discours souvent mensonger, les leaders réactionnaires ont usé de « méthodes autoritaires et antidémocratiques » pour imposer leur point de vue, a documenté l’ONG Bloom.

Quant à la droite libérale, regroupée au sein du groupe Renew (auquel participent l’Open VLD et le MR), elle s’est scindée entre partisans et adversaires du projet. Le président Macron a appelé il y a quelques mois à une « pause réglementaire » en matière environnementale, appel appuyé par Alexander de Croo.  Pour Claire Nouvian, « le groupe Renew a joué un rôle toxique. Ils étaient en position de faiseur de rois, et ils ont poussé pour amoindrir l’ambition du texte ».

 

 

Ce débat a donc été l’occasion d’une alliance très claire de la droite et de l’extrême-droite pour faire tomber le texte, qui s’inscrit dans  la convergence croissante entre ces forces à travers l’Europe1. « À un an des élections européennes, la droite et l’extrême droite ont cherché à faire de cette législation un exemple pour dire “l’environnement, ça suffit” », estime Swann Bommier.

L’eurodéputée écolo française Marie Toussaint voit aussi dans cette offensive la patte « des lobbies de l’agro-industrie, des forestiers ou de la pêche industriels. Dès que les règles environnementales touchent les intérêts économiques et les profits, il faudrait tout stopper. »

 

Une loi rabotée et privée de moyens d’application

Avec la bénédiction de la Copa-Cogeca — syndicat de l’agriculture intensive, dont sont membres notamment la FNSEA française et le Boerenbond flamand — le PPE a ainsi systématiquement poussé pour torpiller le texte au sein des différentes instances où ce dernier a été examiné. Avec succès. Il a été rejeté par les commissions Pêche et Agriculture, tandis que la commission Environnement a été incapable de trouver un accord pour amender le texte.

De plus, le 20 juin dernier, le Conseil de l’Union européenne, qui réunissait les ministres de l’Environnement des 27 pays membres de l’UE, s’est prononcé en faveur d’un texte à l’ambition réduite. « Leur proposition entérinait un certain nombre de reculs, en accordant des dérogations à l’obligation de restauration et en réduisant les cibles », explique Chloé Godefroy. Le danger était que les parlementaires emboîtent le pas au Conseil[1].

Le débat et le vote en plénière du parlement européen étaient donc la dernière chance pour sauver le projet de loi, même affaibli. Jusqu’au dernier moment, l’issue du scrutin a été incertaine. Le rejet en bloc du texte a été évité à treize voix près.

La loi qui sort de ce parcours parlementaire européen est fortement rabotée par rapporta aux ambitions initiales. Exit les mesures immédiates de protection des océans ; exit l’extension des zones « à haute diversité » dans les champs ; exit l’objectif de restauration de 30 % des écosystèmes, pourtant approuvé lors du sommet mondial pour la biodiversité fin 2022. « La loi fixe des objectifs de restauration, mais laisse aux États le soin de prendre les mesures pour les atteindre, via des plans d’action, précise Mme Nouvian. Or ce genre de mécanisme est inefficace. Les États traînent la patte, rechignent à la mise en œuvre. » Autrement dit, les intentions sont bonnes, mais les moyens insuffisants.

« La bataille ne fait que commencer »

Après le vote du Parlement, place désormais aux négociations entre la Commission, les parlementaires et les États. Une fois adoptée, la loi sur la restauration de la nature pourrait avoir des effets concrets sur la réduction des pesticides, la replantation des haies, la restauration des tourbières… « Mais tout dépendra de la bonne volonté des gouvernements, regrette Swann Bommier, de l’ONG Bloom. Il faudra attendre les plans d’action de chaque pays, et on va perdre du temps alors que l’urgence climatique et écologique est là. »

Par exemple, la création d’aires marines strictement protégées dans les mers françaises n’est pas assurée, malgré la recommandation européenne : le gouvernement français n’y est pas favorable. « Il va falloir se battre pour que les États soient le plus ambitieux possible, dit M. Bommier. La bataille n’est pas du tout finie. Elle ne fait que commencer. »

Cet article est une synthèse de deux articles parus sur l’excellent site français Reporterre, Europe : droite et extrême droite sabordent une loi pour la biodiversité » (10 juillet) et Loi européenne sur la restauration de la nature : « Un sauvetage, plutôt qu’une victoire » (12 juillet).

Sur ce sujet, on peut lire aussi : Réparer la nature, l’autre urgence écologique : l’enquête de Reporterre

1 La lettre ouverte a d’abord été signée par 3 300 scientifiques, rejoints peu à peu par de nouveaux experts.

2 Cette convergence ne se manifeste pas que sur l’environnement et le climat (avec des accents allant parfois jusqu’au climato-scepticisme) mais aussi sur divers autres thèmes – le féminisme, l’homosexualité, les théories de genre, l’immigration, les réfugiés,… – jusqu’à des participations gouvernementales communes.

3 Pour rappel, pour qu’une législation soit adoptée au niveau européen, il faut qu’il y ait un accord du « trilogue », constitué du Conseil de l’UE, du Parlement et de la Commission.