Une grande « consultation populaire » sur l’avenir des éoliennes. Vraiment?

Une grande « consultation populaire » sur l’avenir des éoliennes. Vraiment?

C’est une véritable bombe que Willy Borsus (MR), vice-président wallon et ministre de l’Économie, de l’Aménagement du Territoire, de l’Agriculture et même de la Chasse, a lâché ce lundi 15 avril à RTL-TVI à propos des parcs éoliens.

« Nous sommes dans une situation extrêmement difficile: il y a les enjeux en termes d’énergie renouvelable mais aussi le rejet de plus en plus massif de la population. L’addition de projets, avec parfois trois ou quatre parcs éoliens sur le territoire de la même commune, entraîne un contentieux très lourd. 33 dossiers différents sont actuellement devant le Conseil d’État ».
Willy Borsus s’est donc dit partisan de demander l’avis des citoyens sur la question. « Si on ne parvient pas à rembarquer la population, on va au devant de graves difficultés. Mon idée, c’est celle d’une consultation populaire posant la question en toute transparence: sommes-nous prêts à accueillir à l’avenir, non seulement les 216 éoliennes en projet, mais aussi un certain nombre par après? Nous devons évidemment respecter nos engagements européens mais se tourner vers les gens et demander leurs avis, cela me semble toujours une bonne idée ».

Poisson d’avril ou manœuvre électorale ?

« Une large consultation populaire » sur l’avenir d’un secteur énergétique crucial, on n’en croit pas ses yeux… tellement cela va à l’opposé de processus de décision dont le quotidien est généralement fait d’opacité volontaire et de mise systématique à l’abri des yeux de la population. Mais que se passe-t-il donc? Un petit coup d’œil au calendrier pour vérifier. Non, le 1er avril est passé, ce n’est donc pas un poisson. Un deuxième coup d’œil au calendrier et on se rappelle qu’on est à un peu de deux mois des élections régionales… et en pleine campagne électorale. Et, là, tout s’éclaire…

Bien que « partenaires » au gouvernement wallon depuis cinq ans, le MR tape sur Ecolo dès qu’une occasion se présente (et Ecolo riposte comme il peut). Les éoliennes, c’est le dada d’Ecolo, les consultations citoyennes aussi. Puisque la construction des éoliennes pose de plus en plus de problèmes, réclamer une large consultation populaire sur ce sujet, c’est donc attraper deux fois Ecolo par le col de la chemise pour l’envoyer au tapis à la fin du mouvement. Pas de poisson d’avril donc, simplement une peau de banane bien glissante.

Mais qu’y a-t-il donc sous les localisations des éoliennes ?

Mais on aurait tort de s’en tenir là. Parce que – sans doute involontairement! – la proposition du ministre Borsus soulève quelques questions bien intéressantes.

Par exemple, pourquoi les parcs éoliens posent-ils autant problème? En grande partie, parce que leur implantation ne répond en rien à une logique d’aménagement du territoire et à une planification environnementale! Ce qui guide les grandes sociétés productrices d’électricité qui dominent outrageusement le marché éolien, ce sont bien sûr des questions comme la force du vent ou des contraintes comme la proximité d’habitations. Mais c’est surtout le fait qu’elles ont acheté de grandes quantités de terrains pour y planter un maximum de mâts, partout où elles le pouvaient… et surtout là où le terrain était le moins cher. Et tant pis pour les habitants, les défenseurs des forêts et de la biodiversité. Ils peuvent grincer des dents devant un certain nombre de projets: dans le monde des sociétés électriques (qui est aussi celui du ministre Borsus!), c’est bien le droit de propriété qui décide d’où on installe une éolienne et pas les besoins raisonnés de la population et de l’environnement.

Question innocente : la « consultation populaire » que propose le ministre Borsus étendrait-elle ses réflexions sur le terrain glissant et donnerait-elle la possibilité aux citoyens d’une remise en cause du fonctionnement du système ?

Mais pourquoi donc se limiter aux éoliennes ?

Une autre question saute aussi aux yeux. Consulter la population est une excellente idée. Tout le monde sera pour (et nous les premiers!). Mais pourquoi limiter cela aux éoliennes?

Pourquoi ne pas lancer de grandes consultations populaires sur les énormes projets immobiliers destructeurs de dizaines d’hectares d’espaces verts et de terres agricoles, comme celui de la Plaine d’Anton à Andenne (près de 1000 logements prévus) ou le projet Athena à Louvain-la-Neuve (1200 logements prévus)? Ne serait-ce pas parce que dans le monde des grandes sociétés immobilières (qui est aussi celui de monsieur Borsus), on ne goûte vraiment pas aux bienfaits de consultations où la population pourrait mettre son nez dans les projets, mettre en balance rentabilité financière pour les uns et dommages irréversibles pour les autres et pour l’environnement?

Pourquoi aussi ne pas organiser une large consultation populaire face à des projets mégalos d’extension de zonings industriels sur des terrains agricoles de grande valeur, comme à Hondelange (Arlon) ou à Battice (Herve). Ne serait-ce pas parce que, dans le monde des intercommunales publiques (qui est aussi celui de Monsieur Borsus), beaucoup de décideurs raisonnent comme des promoteurs privés, pour ce qui est du choix des projets… et de l’aversion aux initiatives critiques des citoyens?

Et pourquoi pas une large consultation populaire sur l’interdiction, dans les aéroports de Liège et Charleroi, des vols de nuit et des vols « en saut de puce » (quelques dizaines de kilomètres) qui détruisent le sommeil de milliers de riverains et polluent outrageusement ?

De larges consultations populaires sur ces sujets et ces projets auraient pourtant tout leur sens. Et, fait amusant, elles concerneraient des domaines (l’aménagement du territoire, l’économie et l’agriculture) qui sont précisément ceux dont s’occupe Monsieur Borsus dans le gouvernement wallon. Même pas besoin pour lui de se disputer avec ses partenaires!

De l’art de bien foirer une consultation populaire

Et puis, on a gardé la question qui tue pour la fin. Qu’est-ce que cela peut bien être une large « consultation populaire » pour Monsieur Borsus?

Et bien, la dernière initiative de ce type (qui était sans doute aussi la première!), c’est la « grande » enquête publique organisée l’an dernier à propos du projet de Schéma de Développement territorial de la Wallonie. Un enjeu exceptionnel (puisque destiné à orienter le développement de la région pour vingt ou trente ans) et un dossier énorme (des centaines et des centaines de pages), le tout envoyé aux communes, puis rendu accessible aux citoyens, dans le cadre d’une enquête publique d’une durée d’un mois et demi (pas un jour de plus) organisé… en plein mois du juin, rendant impossible un examen sérieux dans de nombreuses communes et dans la population. Le top du top en matière de participation citoyenne et politique au débat, donc!

Le résultat de cette étrange manœuvre a d’ailleurs été un tollé de protestations dans les communes sur les conditions de cette « consultation », ce qui n’a pas aidé à la réécriture de ce Schéma dans les mois qui ont suivi, et ce qui a largement contribué à ce que le gouvernement wallon ne puisse pas en rediscuter – et encore moins l’adopter – avant l’entrée actuelle en hibernation pour cause de campagne électorale.

Ce fut donc un éblouissant fiasco, qui laisse planer comme un doute sur ce que serait une « large consultation citoyenne » sur l’avenir des éoliennes en Wallonie. Mais, là aussi, certains se contenteraient peut-être très bien d’un autre fiasco conduisant au blocage du développement du secteur éolien,… au bénéfice du nucléaire, par exemple.